United States Marine Corps, la pointe de la lance
“Les Marines sont entraînés à improviser, à s'adapter et à surmonter tous les obstacles dans toutes les situations. Ils ont la volonté et la détermination de se battre et de continuer à se battre jusqu'à ce que la victoire soit assurée.”
La raison d’être du Corps des Marines des Etats-Unis, résume l’état d’esprit d’innovation et d’adaptabilité indispensable à ces troupes amenées à intervenir loin de ses bases.
Rattachée administrativement à la marine des Etats-Unis, qui assure son transport jusqu'à ses zones d’actions, l’USMC a réussi à protéger son indépendance en développant, après deux siècles d’opérations, ses propres doctrines d’emplois interarmées, son cursus de formation et ses propres matériels.
Missions
Depuis sa création pendant la guerre d’indépendance en 1775, la spécialité de l’USMC est l’assaut amphibie.
Son premier fait d’armes fut la conquête du fort Montagu et du fort Nassau contre les Forces britanniques en 1776.
Mais il faudra attendre 1947 pour voir la reconnaissance de ce savoir-faire particulier avec le “National Security Act” qui définit définitivement son rôle de force expéditionnaire et sa responsabilité dans le développement des tactiques et processus appropriés lors d’opérations interservice.
Le corps des marines assure également la sécurité des ambassades américaines dans le monde entier ainsi que la protection rapprochée du président à la Maison Blanche ainsi que pendant ses déplacements à bord de “Marine One”.
Initialement utilisée comme troupe d’assaut lors de combats navals, l’arrivée de l’hélice et d’une artillerie de plus en plus efficace a vu les Marines être employé au XIXe siècle comme une force d’intervention pour défendre les intérêts américains à l’étranger. Le Corps doit son retour aux opérations amphibies au Major Pete Ellis qui, dès 1921, définit sa doctrine d’emploi en cas de conflit avec l’Empire du Japon dans le Pacifique.
Sa vision repose sur la prise de contrôle d’îles suffisamment importantes pour les transformer en bastions, reliés entre eux par un réseau logistique naval et aérien assurant un support mutuel en cas d’attaque.
Ce maillage rend la conquête de toutes les îles environnante inutiles, même si elles sont encore occupées par des forces ennemies. Ces dernières étant isolées et difficilement ravitaillables, elles perdent rapidement toutes capacités de nuisance.
Cette tactique de saut de puce et d’étouffement de l’ennemi n’est pas sans rappeler la tactique d’encerclement et d’étouffement de l’ennemi caractéristique du jeu de GO si populaire en Asie.
Le Major Ellis passe les 20 années suivantes à préparer le Corps des Marines à cette mission.
De nouveaux matériels adaptés sont développés, Higgins Boat (LCVP) Amtrack et DUKW.
De nouveaux concepts d’utilisations de l’aviation dans les missions d‘appui feu apparaissent. Des contrôleurs aériens accompagnant les Marines pendant le débarquement (Forward Air Controller) guident les pilotes de bombardiers sur leurs cibles par radio.
Des entraînements réalistes commencent dès 1933. Le Corps des Marines va pouvoir tester et affiner pendant 8 ans son concept d’assaut amphibie coordonnant groupe d’assaut, artillerie navale et force aérienne.
Rarement une force fut si bien préparée à sa mission. La campagne du Pacifique et le débarquement à Inchon pendant la guerre de Corée vont démontrer l’efficacité de cette doctrine.
L’échec de la mission de libération des otages en Iran et l’invasion de la Grenade ont révélé une rivalité contre-productive entre les différents corps d’armées US, empêchant une coordination et une communication efficace en cas d’engagement à grande échelle.
Etant une force intégrée et relativement autonome, le corps des Marines ne souffrait pas de ces lourdeurs administratives.
Sa réactivité et sa flexibilité furent clairement démontrées lors de l’invasion de la Grenade où ils réussirent à prendre le contrôle de 75% du territoire avec seulement 20% des moyens engagés.
L’autonomie décisionnelle donnée aux Marines leur permettait de s’adapter rapidement aux événements inattendus, sans systématiquement attendre des instructions. Cette notion de “commander intent” que le général Patton n’aurait pas renié, explique, en partie, cette vitesse de progression sur le terrain.
"Ne dites pas aux gens comment faire les choses, dites-leur ce qu'il faut faire et laissez-les vous surprendre par leurs résultats." (Gen. Patton)
Le statut à part des “leathernecks” est protégé par la loi contre toutes tentatives de dissolution depuis 1952 et un Marines ne manque aucune occasion de revendiquer son indépendance vis-à-vis des autres Forces durant les entraînements.
L’exemple le plus intéressant de ces dernières années est le Millenium Challenge de 2002.
Cet exercice d’assaut amphibie impliquant 13 700 hommes et coûtant 250MUSD$ devait valider les doctrines et les équipements en cours de développement dans le scenario d’une invasion d’un pays du golfe.
Les forces ennemies étaient commandées par le Lieutenant Général Paul K.Van Riper, vétéran du corps des Marines.
Ce dernier n’avait aucune intention de rendre la partie facile aux troupes d’assaut; il va pour cela utiliser toute une panoplie de tactiques asymétriques pour les déstabiliser.
L’exercice permettant une certaine autonomie, le Général décida de mobiliser une noria de petits zodiacs pour localiser la flotte de l’US Navy et de n’utiliser que des moyens de communication lumineux entre ses forces afin d’empêcher leur détection et de maintenir un effet de surprise totale.
Van Ritter choisit d’ignorer la phase de négociation prévue pendant le premier jour de l’exercice et de passer à l'attaque immédiatement. La flotte US fut attaquée de manière simulée, dès les premières heures de l’exercice par une salve de missiles antinavires tirée du sol, par des bombardiers ennemis et des navires marchants reconvertis, suivi par une centaine de bateaux suicides saturant complètement les défenses des navires.
Cet exercice, prévu pour durer trois semaines, fut terminé en 10 minutes. Dix-neuf navires dont le porte-avions et les six navires amphibies furent virtuellement coulés au grand embarras de l’amiral.…
“The OPFOR had sunk my damn navy”.
L’exercice fut recommencé le lendemain, avec des règles plus contraignantes pour les défenseurs afin d’optimiser l’exercice pour tous les participants, mais il est certain que la démonstration de guerre asymétrique du Général Van Ripper n’est pas passée inaperçue dans certains pays du Golfe et en Asie.
Organisation
Aujourd'hui, le Corps est composé de 170 000 personnels d’active qui, quelles que soient leurs spécialités de pilote, médecin ou cuisinier, sont avant tout des Marines. Cette compétence de base est symbolisée par le credo du soldat écrit par le Major General William Rupertus après Pearl Harbour (cf image).
Au-delà de l’aspect belliqueux du texte, il renforce et sacralise son rôle du soldat d’infanterie; les autres missions sont secondaires et n’existent que pour remplir la mission du Marines. Mais elle exprime aussi la polyvalence des soldats du Corps, leurs complémentarités et leurs capacités d’adaptation.
Pour cela chaque Marines du haut en bas de la hiérarchie doit valider annuellement sa condition physique sous peine d’exclusion.
De par la nature même de leurs missions, les Marines sont déployés en permanence sur les mers du globe.
Il existe 7 Marines Expeditionary Units (MEU), dont deux au minimum sont en mer en permanence.
Ces MEU sont de véritables armées, prêtes à intervenir avec toutes ses unités de soutien, formatées pour être intégrées dans une flotte expéditionnaire nommée Amphibious Ready Group.
Disposant déjà de 2 200 Marines en temps de paix, nombre qui peut être porté à 4 000 après mobilisation. Elle dispose de sa propre artillerie, de ses blindés amphibies et de sa propre aviation.
En cas de guerre, cette force d’intervention peut être renforcée graduellement jusqu’à faire intervenir l’ensemble des moyens du théâtre d’opérations; on parle alors de Marine Expeditionary Force de 20 000 à 90 000 Marines, une force mobile formidable que peu de pays sur la planète sont en capacité de contrer.
Le Marine Corps se repose sur les capacités de transport et de projection des navires de l’US Navy pour remplir sa mission et ce avec 60 jours d’autonomie.
Une Amphibious Task force de l’US Navy se compose des navires suivants:
Un Porte-hélicoptères d’assaut de 35 000 tonnes, embarquant jusqu'à 35 avions à décollage vertical et/ ou hélicoptères, assurant la mobilité et le support aérien,
Deux navires d’assaut amphibie assurant le débarquement des forces terrestres et des équipements lourds grâce à un radier inondable.
Ces unités sont bien évidemment protégées par un Carrier Strike Group, mettant à la disposition des Marines le pont d’envol de ses porte-avions pour ses 17 escadrilles d’attaques (Marine Fighter Attack Squadron), spécialisées dans le support des troupes au sol.
Il est important de comprendre les contraintes d’emploi d’une force d’invasion qui ne peut être soutenue par un réseau logistique classique pendant son intervention.
Contrairement à l’US Army ou L’US Air Force qui ne peuvent se déployer que dans un territoire ami sous contrôle, la mission principale des Marines est d’établir une tête de pont et de prendre le contrôle des infrastructures portuaires/ aéroportuaires, afin de faire venir les unités plus lourdes, capables de conquérir le territoire dans la profondeur.
Cette mission nécessite une doctrine d’emploi et des matériels adaptés à cette conquête de la première plage dans un environnement maritime imposant des contraintes logistiques et opérationnelles importantes.
Le Général David H. Berger, Commandant de l'U.S.M.C. résume cette complémentarité avec l’US Army parfaitement.
"L’US Army est énorme. Nous avons besoin d'une grande armée. Elle gagne nos guerres. Le corps des Marines ne gagne pas les guerres ; nous gagnons les batailles. Elle [l'armée] n'a résisté à aucun des changements apportés au corps des marines, et moi [le commandant] et le chef d'état-major de l'armée travaillons en étroite collaboration pour veiller à ce que nos capacités se complètent et ne se chevauchent pas".
Des outils différents pour répondre à des missions complémentaires
L’annonce en 2020 du transfert des chars lourds M1 des Marines à l’US Army, annonce la fin d’une époque de guerres anti-insurrectionnelles en Irak et en Afghanistan et un retour à des conflits potentiels dans l’arc indo-pacifique. Dans cette optique, les Marines n’ont plus aucun usage pour des chars de 65 tonnes peu adaptés aux opérations amphibies car trop lourds, trop complexes et trop consommateurs de carburant.
General David H. Berger, Commandant of the U.S.M.C.
"Avons-nous besoin de cette capacité ? Oui. S'agira-t-il de deux MEB [Brigades expéditionnaires de marines] débarquant sur plusieurs plages ? J'en doute".
Depuis sa création, les Marines se sont appliqués à développer et à utiliser le bon matériel pour leur mission, pas forcément le plus moderne.
L’US Army, dont la mission depuis la deuxième guerre mondiale est de faire face à une attaque soviétique en Europe, a depuis longtemps adopté des appareils comme l’Apache et le Blackhawk. Ces engins sont plus modernes, plus rapides, mais ils nécessitent chacun une logistique très lourde du fait de leurs complexités mais aussi de l’absence de communalité entre les pièces détachées (constructeurs différents). Ils sont également plus encombrants, et consomment plus de carburant.
Tous ces facteurs rendent ces matériels peu adaptés à des opérations maritimes où l’isolation et la distance amplifient les contraintes logistiques.
Les Marines ont choisi d’améliorer régulièrement leurs hélicoptères de manœuvre et d’attaque et ont refusé de standardiser leurs matériels avec l’Army.
Le célèbre hélicoptère de transport Huey, déjà opérationnel pendant le Vietnam, est toujours utilisé par les Marines dans une version améliorée.
Leurs hélicoptères d’attaque, le Cobra, datent de la même période et les deux modèles étant produits par la même société, ils utilisent les mêmes pièces, simplifiant ainsi grandement l’entretien et la logistique.
Grâce à leur indépendance fondée sur leurs exigences opérationnelles, les Marines ont réussi à éviter deux décennies de gabegie pendant lesquelles des milliards de USD$ ont été dépensés par les autres services dans des projets n’aboutissant jamais (Comanche, LCS, Croiseurs Zumwalt à 7.5M USD$ l’unité…).
Le mieux est parfois l’ennemi du bien..
La flexibilité et la mobilité d’une force d’invasion, accompagnée par une capacité à faire face aux défis sont les clés de la réussite d’une opération amphibie. Les Marines se reconcentrent depuis quelques années sur ces priorités en vue des nouveaux défis attendus en mer de Chine face à un Dragon de plus en plus remuant.
Semper Fi!
Sources
https://muse.jhu.edu/article/805918
https://www.usni.org/magazines/proceedings/1984/may/fury-sea-marines-grenada
https://www.showallegiance.com/blogs/news/army-vs-marines
https://www.uso.org/stories/2910-what-separates-the-marines-from-the-other-branches