Syrie Retour d'expérience du matériel russe
Entre obsolescence et renaissance
Article écrit en décembre 2021
Il est important de comprendre que la Russie est sortie de la guerre froide ruinée, humiliée et isolée sur le plan international.
La situation au Moyen-Orient va donner à Poutine une occasion unique pour revenir dans le grand jeu diplomatique, mais aussi de redonner sa fierté au peuple russe à travers ses forces armées.
A l’aube du 21 siècle, elles sont démoralisées, à la suite des conflits et incidents qui se sont succédés depuis le milieu des années 80 et qui ont été calamiteux pour son image (Afghanistan, Tchétchénie, Georgie, explosion du Kursk…).
Il était nécessaire, après de nombreuses années sans financement correct, de faire évoluer les tactiques, de moderniser le matériel et d’entraîner les soldats correctement.
La Russie au début des années 2000 n’ayant plus les moyens financiers ni les capacités d’innovation de l’union soviétique, se devait de distribuer ses budgets limités entre les priorités suivantes:
-Reconstruire une force de dissuasion nucléaire crédible, basée sur des nouveaux bâtiments (nouveau SSBN Borei, SSGN Yasen, défendu par des SNA Sierra /Akula rénovés) où les compétences russes sont reconnues.
-Revaloriser à minima son aviation stratégique (moteurs et systèmes de navigation des Tu 160 Tu 95) qui a encore du potentiel malgré des mises en service datant de l’ère soviétique.
- Investir sur des technologies de rupture dans des domaines négligés par les forces de l’Otan, en finalisant des projets étudiés pendant la guerre froide (missiles anti navire/nucléaire tactique hypersonique, armes ASAT, armes cyber, sous-marins spécialisés, torpilles nucléaires stratégiques Poseidon).
-Revaloriser une partie des vecteurs aériens, terrestres et navals mis en réserve dans les années 90, disponibles en grand nombre et encore suffisamment performants pour des interventions locales sans opposition trop sérieuse.
Pour Vladimir Poutine, l’indépendance de l’Ukraine et son rapprochement de l’Otan, furent le point de non-retour. L’Ukraine occupait une place importante dans la chaîne logistique des armées soviétiques/russes. La Russie en dépendait pour la fourniture de réacteurs d’avions de transport, turbines d’hélicoptères et turbines à usage naval. Cette distanciation, que les Russes estiment planifiée par l’Otan pour les affaiblir, eu pour conséquence une baisse de disponibilité importante du matériel existant, mais également l’impossibilité pour la marine russe de concevoir des navires de surface de plus de 3000 tonnes pendant presque 25 ans.
Si l’invasion de la Crimée a été la première étape du retour d’une Russie volontaire sur le plan international, l’intervention en Syrie fut la plus spectaculaire.
Depuis 2015, la Russie intervient sur le terrain syrien avec des moyens importants mais hétéroclites datant majoritairement de l’union soviétique; les contraintes budgétaires n’ayant permis que l’acquisition de très peu de matériels récents.
Armée de l’air VKS
L’éventail presque complet des VKS a été déployé: Su 24 Su 25 Su 30, Su 34, et même des Su 57 pendant 48h.
Il est intéressant de noter, que même les avions les plus récents ont été utilisés en grande majorité avec des munitions classiques (roquettes, bombes non guidées).
Là où l’Otan n’emploie presque que des munitions “intelligentes” guidées laser ou GPS, les forces russes utilisent des munitions selon le principe du tapis de bombes. La raison principale semble être le manque de dispositif de désignation fiable (pod de désignation) même sur les avions les plus modernes.
Les Su 24 et les Su 34( neufs) avec les Tu 22 Backfire ont largué des bombes classiques par grappe dans des missions de CAS. Cette approche saturante doit certainement garantir de bon résultat à faible coût, en compensant le manque de précision par le nombre de munitions.
Les russes craignant beaucoup moins les retombées négatives dans la presse, en cas de dommages collatéraux, peuvent se permettre d’économiser l’utilisation de munitions “chirurgicales” coûteuses indispensables aux guerres propres de l’Otan.
Les informations disponibles semblent confirmer que les forces russes ont 30 ans de retard sur l’Otan où la boucle OODA est effectuée presque en temps réel (réseaux de transmission L16, satellites).
Les événements suivants peuvent être utilisés pour caractériser l’éventail des moyens employés par les forces russes.
Su 24 abattu par les forces Turques:
L’incursion involontaire du Su 24 russe dans l’espace aérien turc lors d’une passe de bombardement a été expliquée par des équipements radios et de navigation obsolètes ne permettant pas aux pilotes russes de recevoir les appels d’urgences de la défense aérienne turque.
-Tirs de missiles de croisière russe :
La Russie a fait des efforts énormes pour déployer des plateformes de tir de missiles de croisières modernes, domaine où ils ont une expertise ancienne mais rarement utilisée en opération.
Tu 160 Blackjack et Tu 95 ont tiré des missiles de croisière après des vols de très longues durées ( départ de la base d’Angels via l’atlantique nord et Gibraltar).
L’utilité de ces tirs, n’étant pas prouvée, il semble que l’objectif réel était plutôt médiatique. La Russie était décidée à démontrer son savoir-faire afin de promouvoir, avec un certain succès, le matériel utilisé auprès de ses alliés ( Algérie, Egypte Turquie).
-Utilisation de la flotte
La marine russe a réussi à mobiliser un nombre important de bâtiments dans des missions très diverses:
a. Convoyage d’hommes et de matériels (noria de navires logistiques entre les ports de la mer noire et Tartous),
b. Contrôle de zone et défense aérienne, avec un croiseur de type Slava (équipé de SAM longues portées) et frégate de type Udaloy. Ces navires sont anciens mais ont toujours des capacités non négligeables.
Le porte aéronefs Kuznetsov et sa flotte d’accompagnement ont fait une croisière fortement médiatisée, malgré une valeur militaire très discutable. Ce navire ancien est mal entretenu et est connu pour ses problèmes de machine ( d’où la présence en permanence d’un remorqueur de haute mer dans son escorte). Son groupe aérien est, de plus, uniquement capable de faire des missions air-air.
Encore une fois il s’agissait ici plus d’une croisière de prestige (Russia is back!).
Les missions offensives menées par la Marine reposait principalement sur un sous-marin classique de type Kilo et les toutes nouvelles frégates légères récemment mises en service.
Ces navires ont tiré de nombreux missiles de croisière sur des cibles en Syrie et en Irak. Le sous-marin Krasnodar (Kilo) a également joué parfaitement son rôle d’épouvantail pour la flotte de surface de l’Otan qui avait bien besoin d’un ennemi à sa taille pour justifier l’existence de ses moyens anti sous-marins sous-utilisés depuis de nombreuses années.
Conclusion
L’intervention en Syrie est toujours en cours, mais l’action de la Russie tant sur le plan diplomatique que militaire semble avoir été un succès. Le gouvernement Syrien est toujours en place, la menace de l’état Islamique jugulée, la présence militaire russe dans la région sécurisée pour de nombreuses années et tout cela à un coût tout à fait acceptable (humain, matériel et financier) pour le pouvoir russe, même si de nombreuses lacunes capacitaires, vis à vis des forces de l’Otan, sont apparues au grand jour.
En 20 ans, les russes ont reconstruit une armée motivée et bien mieux entraînée, mais sans le budget leur permettant de déployer des matériels nouveaux en quantités suffisantes pour moderniser ses forces offensives (aériennes et navales).
Sa gestion intelligente des stocks importants, produits pendant l’Union Soviétique lui permet de posséder aujourd’hui une masse de moyens qui, même s’ils ne représentent qu’une petite fraction des moyens soviétiques des années 80, sont bien suffisants pour se faire respecter par les pays de l’Otan. Ces derniers se sont séparés de 60 à 70% de leurs armées et ont concentré l’ensemble de leur budget à l’achat de matériels ultramodernes trop couteux et disponibles à dose homéopathique.
Cependant, un facteur capital est à retenir; le manque d’avions ravitailleurs, sans lesquels aucune campagne extérieure n’est envisageable, est très révélateur (moins de 20 à comparer aux 500+ de l’Otan) et permet de classifier la Russie uniquement comme une puissance régionale certes crédible, mais aux capacités principalement défensives (nucléaires et conventionnelles).
Les forces aériennes de l’OTAN sont, sur le papier, nettement plus puissantes, mais le réinvestissement récent de l’ensemble de ses membres dans des forces terrestres classiques est un signe d’inquiétude quant à leurs capacités à faire face à une nouvelle Russie et à ses efforts de reprise de contrôle sur ses voisins.
Ce constat est en soi une victoire pour Poutine, dont l’objectif est avant tout de se faire respecter, car comme le dit Andreï Gratchev dernier porte-parole de Gorbatchev “ Poutine sait que la Russie n’est écoutée par l’Occident que lorsqu’elle fait lui fait peur”.