Les Matous du Shah

Pour beaucoup de fanatiques de l’aviation, le mythe du F14 Tomcat est né au cinéma en 1986 avec un certain Pete 'Maverick Ray Ban' Mitchell, aux commandes. Mais peu de gens savent que le F14 va entrer dans l’histoire de l’aviation non pas dans les mains des pilotes de l’aéronavale américaine, mais en défendant un gouvernement hostile aux puissances occidentales. 

Comment un appareil aussi évolué, créé initialement pour défendre les porte-avions américains, a pu devenir dans les années 80 le fléau de la chasse irakienne en dominant sans partage l’espace aérien perse?

Naissance tumultueuse

Ultime création des célèbres bureaux Grumman, le F14 a bien failli ne pas naître.

Le secrétaire de La Défense Mc Namara a poussé pendant des années, pour des raisons d'économie, le programme F111B comme intercepteur unique pour les trois armes. Il a fallu l’intervention de la “fighter mafia” et de l’amiral Tom Connolly pour annuler un programme complètement inadapté aux besoins de la Navy, contre l’avis de son secrétaire d’État.

Selon la légende, le nom de baptême “Tomcat” serait en partie pour lui rendre hommage, (Tomcat = le Matou ou le chat de Tom), cette décision lui ayant coûté sa carrière.

Le défi à relever pour Grumman était de produire un chasseur suffisamment maniable pour affronter les meilleures productions soviétiques en combat canon, comme au-dessus du Vietnam, mais aussi d’assurer la défense aérienne à très longue portée des porte-avions américains.

Les progrès faits dans les années 60 par les États-Unis pour miniaturiser les composants électroniques vont permettre d’intégrer pour la première fois dans la cellule d’un chasseur, un système d’interception à très longue distance, capable de suivre 24 cibles et d’en engager 6 simultanément, et ce, jusqu’à 80 miles nautiques.

Commandes Persanes

Dans les années 60, l'Iran servait de base avancée pour les vols de reconnaissance américains au-dessus de l’Union Soviétique. La chasse russe répondait systématiquement par des interceptions, parfois réussies, et par ses propres vols de reconnaissance de Mig 25 volant à Mach 2.5 à très haute altitude que les Iraniens ne pouvaient intercepter. En effet, la taille et la géographie du pays ne sont pas favorables à l’utilisation de radar au sol. 

Le F14 équipé de radar et de missiles longue portée, dirigé depuis des avions AWACS avait été identifié comme la meilleure solution pour une couverture efficace du territoire par le gouvernement iranien.


La lettre du Shah, reçue en 1972 par le Pentagone, exprimant son intérêt pour une démonstration du F14 et du F15, ne pouvait pas mieux tomber pour Grumman qui était au bord de la faillite. Cette visite se conclut par une commande initiale de 30 puis de 50 Tomcat et surtout de 700 Missiles Phoenix. Ironie de l’histoire, en 1974 la banque iranienne Melli a dû prêter à Grumman suffisamment de fonds pour éviter la banqueroute et ainsi pouvoir continuer le programme.
Sans le Shah d’Iran, il n’y aurait peut-être pas eu de film Top Gun!

Guerre Iran Irak

La révolution islamique mit un terme aux livraisons mais les Mollahs avaient déjà à leurs dispositions 79 Tomcat et 284 Phoenix et une énorme quantité de matériel pour la maintenance. 

Les pilotes du Shah, restés en Iran, étaient détestés par le nouveau régime. Ils furent persécutés, parfois exécutés, mais l’invasion irakienne changea vite la donne.

Les Mollahs n’avaient pas d’autre choix que de faire confiance à l’élite des pilotes du Shah pour arrêter les chasseurs irakiens qui bombardaient les installations pétrolières. Les pilotes eux, pour sauver leur vie, devaient désormais se battre pour un régime qui les torturait. Beaucoup d’entre eux décidèrent de se battre pour défendre leur pays avec le meilleur chasseur alors disponible sur la planète, le F14 Tomcat, au grand malheur d’une génération de pilotes irakiens.

Premiers combats

Malgré des problèmes de remontée en puissance après 2 ans d’inactivité, les pilotes et leurs montures vont rapidement établir la supériorité aérienne iranienne au-dessus du champ de bataille.

Dès le mois de septembre 1980, 16 chasseurs irakiens Mig 21 et 23 sont abattus, malgré le faible nombre de Tomcats et de pilotes disponibles.

Cette fin d’année 1980 est témoin de combats extrêmement intensifs, durant lesquels 51 appareils irakiens sont abattus, soit un tiers des 160 victoires attribuées au F14 pendant toute la durée de ce conflit.


Une paire de F14 en mission CAP (Combat Air Patrol) démontre sa supériorité dans toutes les phases du combat:

Détection

Le systèmeAN-APX-80/81 “combat tree” du F14 permet d’interroger les transpondeurs IFF des chasseurs soviétiques à plusieurs centaines de kilomètres de distance sans allumer leur radar. Ce transpondeur, censé aider les pilotes irakiens à se reconnaître entre eux et éviter les tirs fratricides, est détourné de son usage depuis le Vietnam par les techniciens américains pour obtenir des informations de manière totalement passive sur la distance, direction et vitesse de la formation ennemie.

Les pilotes iraniens sont devenus très rapidement experts dans son utilisation.

Lorsque la distance estimée de la formation ennemie correspond à la portée idéale de tir du Phoenix (No Escape Zone), les chasseurs iraniens allument leur puissant radar AWG-9 pour confirmer le nombre de cibles et les engager sans leur laisser la possibilité de se dérober.

Interception


Le couple radar AWG 9- missiles Phoenix, créé pour intercepter des bombardiers  soviétiques à haute altitude à plus de 100 km de distance, est utilisé ici pour intercepter des raids de chasseurs bombardiers tactiques volant à basse altitude. Les distances d’engagement s’en trouvent fortement réduites, mais le F14 peut toujours engager ses adversaires bien avant que ceux-ci puissent se défendre.

Les Iraniens volent la plupart du temps avec un ou deux missiles Phoenix, et 4 missiles Sparrow et Sidewinder de moyennes et courtes portées pour le combat tournoyant.
Un raid irakien de 6 à 8 chasseurs est littéralement décimé à distance par les Iraniens qui visent en priorité l’escorte avec des résultats parfois spectaculaires.
Les énormes missiles Phoenix de 500 kg volants à Mach 4.4 détonnent parfois au milieu des chasseurs; sa charge militaire de 50 kg est tellement puissante, que plusieurs pilotes Iranien abattent avec un seul missile plusieurs cibles, du jamais vu dans l’histoire de l’aviation!

Le 7 janvier 1981, après avoir tiré un seul missile Phoenix à 50 km de distance sur le leader d’une formation de 4 Mig 23, l’équipage du F14 voit disparaître de son écran radar le Mig pulvérisé par l’impact direct et ensuite les deux ailiers qui continuent tout droit vers le sol. Le quatrième Mig 23 endommagé par le même missile, fait demi-tour.
Un tir de Phoenix pour 3 victoires et un avion endommagé; un ratio d’efficacité peu courant!

Les bombardiers, désormais sans protection, n’ont d’autre choix que de faire demi-tour à pleine vitesse avant que les F14 ne se rapprochent pour les massacrer à coup de missiles Sparrow à guidage radar et Sidewinder ou même au canon de 20 mm.

Une patrouille de F14 peut ainsi engager un raid ennemi 4 fois supérieur en nombre, détruire en théorie l’escorte avant que celle-ci ne devienne dangereuse et détruire ensuite les bombardiers assez fous pour continuer la mission.

Phoenix Away

Réactions de l’opposition 

Les Irakiens, qui perdent un nombre important d’avions et de pilotes à chaque rencontre avec des Tomcats, tentent d’obtenir du matériel plus efficace auprès des Soviétiques, mais sans succès. Les Russes ne proposent jamais à l’exportation leurs matériels les plus modernes. 

Au début des années 80 seul le Mig 31, récemment déployé par la PVO (défense aérienne Russe), a des capacités d’interception comparable. La France propose le successeur du légendaire Mirage III, le Mirage F1, dont le radar et les missiles sont très performants, mais qui doit se rapprocher à moins de 30km pour pouvoir menacer le F14.

En juillet 1988, 4 Mirages vont réussir à prendre par surprise 2 F14 grâce à leurs nouveaux brouilleurs et à une livraison de nouveaux missiles 530D de Matra (d’après des sources iraniennes) qui sont bien plus difficiles à éviter.

Les pilotes irakiens réussissent à se rapprocher suffisamment près de leurs cibles pour tirer leurs missiles à guidage radar sur les F14, ne leur laissant ainsi aucune chance de s’échapper. Cette tactique agressive permet aux pilotes de Saddam Hussein d'en abattre au moins 4. 

Les Mirages F1 se sont très bien comportés en mission air air, remportant de nombreuses victoires contre la chasse iranienne. Cependant, plus de 30 Mirage F1, lourdement chargés lors de missions d’attaque au sol et antinavire, vont être victimes du F14.

MIrage F1 Ready for the hunt, Matra Super 530 F, Magic 2 and Jammer and chaff/ flare dispenser

Les Irakiens et leurs fournisseurs, n’ont jamais eu de parade totalement efficace contre le F14. Ses systèmes électroniques, l’armement à longue portée et ses capacités manœuvrières n’ont été que rarement mis en défaut.

La réputation du chasseur était telle que la détection d’une émission radar AWG9 au-dessus du front, suffi pour provoquer l’annulation d’un raid irakien; de nombreuses missions “épouvantails” effectuées par des Tomcats désarmés sont ainsi menées avec succès.

Les pilotes iraniens respectent le Mig 21 pour sa manœuvrabilité en combat tournoyant, le Mig 25 pour sa vitesse et le Mirage F1 pour son système d’arme performant, mais leur Tomcat n’a aucun prédateur sérieux.

Mirage F1 and Mig 21

À partir de 1985 les pilotes irakiens parviennent lentement à reprendre la suprématie aérienne aux Iraniens en recevant de plus en plus d’appareils modernes pour compenser les pertes. Au même moment, les Iraniens sous embargo n’ont plus que 20 à 30 Tomcats capables de voler avec parfois seulement une partie des équipements en état de marche. 

En février 1988, le major Zandi, le plus grand as iranien, avec 9 victoires confirmées et 3 probables, se retrouve en combat tournoyant seul contre 8 Mirages; il réussit à en toucher 2, avant d’être lui-même endommagé par pas moins de 4 missiles. Il réussit à contrôler son appareil suffisamment longtemps pour s’éjecter au-dessus de l’Iran et éviter ainsi la capture.

Les F14 iraniens ont fini la guerre à bout de potentiel, la plupart n’étant plus opérationnels. Mais la petite vingtaine d’exemplaires en état de vol va encore détruire une cinquantaine d’appareils en 1987-1988, Le F14 domine toujours…

Selon les sources, les Iraniens auraient perdu moins de 20 Tomcats en dix ans de conflit, la plupart sur problème moteur (son gros point faible) et seulement 6 ou 7 en combat aérien pour au moins 159 appareils irakiens confirmés et 34 probables.

Élément clés de la supériorité du Tomcat, le couple AWG9/Phoenix longtemps critiqué aux États-Unis pour son coût exorbitant et pour n’avoir jamais abattu une cible pour l’US Navy, aurait descendu au moins 78 chasseurs irakiens. 

Premier système d’armes vraiment multicible utilisés au combat, le Phoenix reste 50 après sa mise en service toujours la seule arme air air ayant détruit plusieurs cibles avec un seul missile, fait d’arme répété a au moins trois reprises pendant la guerre (2 double kill, 1 triple kill)


Les pilotes du Shah avaient à leur disposition un outil directement issu de l’expérience de pilotes US diplômés de TOP GUN et vétérans du Vietnam qui ont pris soin d’intégrer les derniers développements technologiques. Pendant 10 ans, les équipages de F14 iraniens représentaient la seule ligne de défense face aux milliers de raids irakiens lors d’un conflit plus intense que le Vietnam et face à un ennemi bien mieux équipé.

Grumman a ainsi, dans les années 60, produit le premier chasseur de domination aérienne dont l’insolente supériorité ne sera égalée que 30 ans plus tard par les F22, SU 35, Rafale et Typhoon.

 
Anytime baby!

Data source


Iranian F14 in combat Osprey Tom cooper and farzad Bishop

Grumman f14 owners workshop manual Haynes

https://www.youtube.com/watch?v=n08PDlYio08

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