Envoyez les Helicos!
Personne ne peut oublier le film "Apocalypse Now" et l'opération hélicoptère menée par l'Air Cavalry du colonel Kilgore sur la Chevauchée des Valkyries. Ce film sera pour toujours associé à la guerre du Vietnam où des dizaines de milliers d'hélicoptères UH1 Huey ont été utilisées.
Depuis, les opérations héliportées ont évolué, allant d’un rôle d'évacuation médicale dans les années 1950 à des plateformes de transport de troupes et anti-véhicules.
L'ALAT française (Aviation Légère de l'Armée de Terre) a joué un rôle important dans le développement de cette doctrine en Algérie mais leur contribution a été éclipsée par les opérations de l'armée américaine au Vietnam, où plus de 11 000 hélicoptères ont été utilisés et plus de 5000 ont été perdus. Volant près du sol en plein jour, ils étaient exposés à tout ce que le Viêt Minh pouvait leur lancer.
Force brute ou manœuvrabilité et légèreté?
En 1980, les forces terrestres de l'OTAN en Europe faisaient face au Pacte de Varsovie, la plus grande force militaire jamais déployée. Les forces de l'OTAN étaient surpassées de 2 ou 3 contre 1.
Dans les années 1970, l'armée américaine a dépensé une somme colossale pour produire l'AH64 Apache, une formidable machine blindée de 13,5 millions de dollars équipée d’une protection électronique digne d’un avion de chasse, capable de tirer de 8 à 16 missiles guidés par laser sur les chars ennemis à 6 km. Conçu pour arrêter toute attaque mécanisée du Pacte de Varsovie sur l'Europe de l'Ouest, il était, et est toujours, un cauchemar à entretenir.
Ce paradigme est toujours valable à ce jour. Est-il préférable d'avoir une bonne machine qui fonctionne 80% du temps ou de concevoir la machine ultime (sur papier) qui n'est disponible que 30% du temps avec une empreinte logistique très lourde? Pour les choix raisonnables, il faut regarder le matériel utilisé par les Marines américains. Ils n'ont jamais acheté l'Apache, ils ont continué à utiliser et à améliorer le AH1 Cobra, un concept de l'ère du Vietnam, facile à entretenir et à utiliser à partir de navires...
Les nations européennes ont pensé qu'il était plus rentable d'acheter des hélicoptères plus légers et plus faciles à maintenir pour ce rôle. D'où le déploiement de nombreuses Gazelle françaises et de Bo105 allemands dans le rôle antichar.
Les différentes opérations des années 90 et 2000 ont renforcé le rôle clé des hélicoptères, mais aussi leur vulnérabilité, lorsqu’ils sont mal utilisés comme à Mogadiscio (film "Black Hawk Down") ou en Irak a Karbala en mars 2003. Pas de film pour cette bataille, une victoire tactique de l'ennemi ne fait pas un bon scénario à Hollywood.
Le 11ème régiment d'attaque de l'armée américaine équipé de 31 Apache a été violemment pris à parti lors d’une embuscade et mis hors service pendant un mois par une division de la Garde républicaine irakienne habilement dirigée. Utilisant des éclaireurs avec des téléphones portables, ils ont attendu que les hélicoptères soient très proches pour ouvrir un barrage antiaérien dévastateur.
Grâce au blindage et la puissance de feu de l'Apache, aucun équipage n'a été tué, mais 29 hélicoptères ont été gravement endommagés et un a été abattu.
Par la suite, les hélicoptères ont été considérés par les commandants de l'OTAN comme étant trop vulnérables pour être engagés contre un ennemi bien entraîné et bien équipé. Les avions de chasse volant à haute altitude avec des bombes GPS étaient considérés comme une meilleure option.
La nuit nous appartient!
La France, au début des années 80, était à des années de déployer des hélicoptères aussi bien protégés. Elle a donc compensé cette fragilité par la formation au vol de nuit à ultra-basse altitude (moins de 15 pieds) de jour comme de nuit. Cette technique de vol permet aux hélicoptères de voler bien en dessous du niveau des arbres augmentant ainsi leur discrétion.
En cas de conflits en Europe, la Division Aéromobile française avait pour mission d'arrêter toute percée soviétique en Allemagne de l'Ouest en déployant des centaines de Gazelle antichars et des groupes de soldats équipés de missiles en embuscade en quelques heures.
Cette énorme puissance de feu héliportée aurait dû être en mesure d'arrêter ou de ralentir toute percée soviétique jusqu'à ce qu'une contre-attaque de l'OTAN puisse être montée.
En 2010, malgré une réduction importante du nombre de machines disponibles dû à la fin de la guerre froide, l'ALAT avait des années d'expérience opérationnelles de vol tactique en toutes conditions météorologiques, de jour comme de nuit, grâce aux nombreux déploiements en Afrique et en Afghanistan. Les équipages ont surpris le commandant de la coalition américaine en Afghanistan à plusieurs reprises lorsque, par mauvais temps, les hélicoptères français étaient les seuls à voler.
Ces Chiens de Français!
En 2011, lorsque l'opération Unified Protector contre Kadhafi a commencé à ralentir en raison d’une trop grande proximité des cibles et des civils interdisant de ce fait tout bombardement, les Français et les Britanniques ont proposé d'envoyer leurs hélicoptères de combat pour aller traquer l'ennemi à courte distance. La réaction initiale du QG de l'OTAN a été un refus catégorique. Personne ne voulait prendre le risque de voir des pilotes capturés parader dans les rues de Tripoli.
Après avoir assisté au briefing expliquant leurs tactiques, basées sur leurs compétences peu connues (très basse altitude, nuit noire), le feu vert est donné aux Français. Le QG de l'OTAN s'attendait à ce que ces raids soient de courte durée en cas de pertes pendant les premières missions.
En quelques semaines, 20 hélicoptères et leur équipement de soutien ont été chargés dans le PHA Tonnerre de la marine française pour former le Helicopter Strike Group, une opération jamais planifiée auparavant à cette échelle.
L'armée britannique a contribué avec 4 hélicoptères Apache à bord du HMS Ocean, mais ils opéraient de manière indépendante.
À la stupéfaction du haut commandement de l'OTAN, les Français ont lancé 41 raids nocturnes sans aucune perte!
Chaque raid comprenait un mix de vieilles Gazelle HOT (missiles antichars), de Tigres tout neuf pour l’appui feu (canon de 30MM, roquettes et missiles Mistral) et d’un Puma RESCO pour récupérer les équipages abattus.
Plusieurs frégates de la marine française ont également été utilisées pour fournir un appui feu, détruisant de nombreux véhicules militaires et une vedette rapide avec plusieurs centaines d'obus explosifs de 100 mm.
Une frégate a même essuyé des tirs de riposte de l'artillerie côtière libyenne avec des obus tombant à moins de 50 mètres du navire.
Des avions de patrouille maritime Atlantique 2 ont été utilisés pour scanner le terrain devant les hélicoptères afin de les avertir de tout danger grâce à sa caméra thermique.
Le groupe aéronaval français a également assuré en permanence des missions de couverture aérienne avec les Rafale M du porte-avions Charles de Gaulle, au cas où un pilote libyen voulait tenter sa chance face aux hélicoptères.
Le commandant de l'ALAT française a rapidement su que les raids étaient efficaces grâce à l'interception radio d'un officier libyen maudissant ces "chiens de français" soulignant leur frustration dans leurs efforts pour essayer de les abattre.
Décollant du PHA Tonnerre, naviguant juste au dela de l'horizon, l'aviation de l'armée française a détruit 600 cibles.
La consommation importante de munition souligne l’activité intense lors de chaque raid:
425 missiles filoguidés HOT-2
13500 obus de 30 mm
1618 roquettes
et quelques missiles air air Mistral utilisés contre des cibles terrestres.
Le commandant de l'opération de l'OTAN, le Canadien Charles Bouchard, lui-même pilote d'hélicoptère, a félicité l'audacieuse opération française pour sa contribution importante pour débloquer la situation.
Ce résultat incroyable était dû à une planification de mission approfondie privilégiant la surprise et l’utilisation de système de vision thermique de dernière génération permettant de voler pendant les nuits sans lune.
Certaines missions étaient plus excitantes que d'autres; comme un équipage de Gazelle qui a perdu sa porte à cause de la surpression causée par le départ de son missile, ou lorsque le tir d’un MANPADS libyen a déclenché une séquence de leurrage d'un Tigre, le transformant en cible pendant quelques secondes. Heureusement, le Tigre pu sortir de la zone illuminée sans être touché.
À la suite de cette opération réussie, l'école de pilotage de l'ALAT a attiré de nombreux étudiants d’armées étrangères venus apprendre comment ces "sacrés chiens de français" pouvaient voler si bas.
Vision du futur
Douze ans plus tard, face aux pertes très lourdes subies par les hélicoptères russes et ukrainiens dans le conflit, il est justifié de se demander si les jours de l'hélicoptère d'attaque ne sont pas révolus.
Utilisés en plein jour sur une ligne de front fortement défendue où les MANPADS et les armes de petits calibres sont omnipresent, même les hélicoptères les plus modernes restent des cibles lentes assez faciles à atteindre. Le commandant de l'ALAT, le général Meyer, critique les méthodes d’utilisation russes mal adaptées et le manque de coordination des troupes (voir l'interview de Xavier Tytleman).
Je tiens à souligner que l’incursion ukrainienne la plus réussie fut un raid nocturne de deux hélicoptères mi-35 Hind à la mi-2022. Lorsqu'ils sont utilisés correctement avec discrétion, ils peuvent focaliser une grosse puissance de feu dans des endroits inattendus.
C'est un bon exemple de la façon dont l'ALAT définit son cadre d’emploi; de nuit pour frapper des cibles éloignées de grandes valeurs.
Après 45 ans, les Gazelles HOT atteignent la fin de leur longue vie opérationnelle. Elles sont enfin remplacées par le Tigre HAP/HAD. Les pilotes de l'ALAT continuent d'être formés à voler en dessous des lignes électriques à 70 nœuds, de nuit, avec des missiles Hellfire guidés par laser, un canon en tourelle de 30 mm asservi au casque et des missiles Mistral.
Pour dominer le champ de bataille, les Tigres seront bientôt intégrés dans un réseau collaboratif pour contrôler à distance des drones de reconnaissance et de combat.
“De la terre, à travers le ciel” (devise de l’ALAT).
Photos
https://www.helicopassion.com/fr/03/gazelle01.htm
Illustration Daniel BECHENNEC